Derrière le soldat, se cache un homme. Je vais aborder bien sûr sa période militaire et vous découvrirez les documents comme son livret militaire, ses citations, ses blessures, son certificat de médaille militaire, son titre de pension.
Mais cet homme n'était pas militariste, il a fait son devoir, avec loyauté, courage et persévérance, ce qui l'a amené à être promu de caporal à adjudant. D'ailleurs il n'a jamais tenté de tirer profit de cette situation et de ses connaissances. Sa pension d'invalidité n'a été traitée que dans les années 30. Il a continué mener une vie humble et à élever ses enfants.
Nos verrons quelques souvenirs de guerre, car on ne sort pas de cette épreuve indemne. Vous aurez l'occasion de voir comment étaient éduqués les enfants au patriotisme, et un d'un livre de géographie de 1906 en est un exemple frappant avec une présentation du fusil Lebel.
Ensuite sa vie, sa famille, et son village, Mory, hameau de Mitry-Mory , avec quelques photos de la période de la grande guerre.
Avant de découvrir ce que fut sa vie, comment était son village à cette époque de la guerre, ses souvenirs de cette période, arrêtons nous sur son parcours militaire dont nous avons pour l'année 1914, tout le détail dans son cahier.
Né en 1885, il fait parti de la classe 1905, bureau de recrutement de Coulommiers et fait son service au 76 e RI (le 276 est le régiment de réserve du 76, il faut ajouter 200 pour les régiments de réserve et 300 pour les régiments de territoriaux). Son instruction militaire dura d'octobre 1906 à septembre 1907. Il est élève caporal de 9/11/1906. Son livret militaire indique toutes ses mensurations, la mention "ne sait pas nager" ainsi que les notes au tir (mention bon tireur). Il est démobilisé et reprend son activité professionnelle. Ce fut ensuite la mobilisation générale, le 1er août 1914 et son incorporation au 276 eme RI de Coulommiers où il avait fait une période d’ entraînement entre temps. Il laisse femme et enfant! Ila 29 ans!
Ce fut ensuite le parcours de 1914 où son cahier nous renseigne précisément. Puis, il gravit les échelons et est, en 1917, nommé au grade d'adjudant.
Au cours du parcours du 276eme RI il aura été blessé trois fois, et cité deux fois. En 1917, quand la 276eme est dissous, il est intégré au 63eme régiment d'artillerie.
Il a obtenu la Croix de Guerre lors de sa première citation à l'ordre du régiment le 1er octobre 1915. Il fut cité le 10 mars 1916 à l'ordre de la Division.
Il fut démobilisé le 15 mars 1919.
En 1932, il décoré de la médaille militaire.
Ses citations:
"Cité à l'ordre du Régimentn°68 du 1er octobre 1915. A courageusement enlevé sa demi-section à l'assaut des tranchées allemandes".
Cette citation était assortie de la Croix de Guerre, mais il fut aussi blessé aux mains par éclats d'obus
Voici quelle fut l'action qui lui valut cette distinction : Dans le secteur de Souchez ( Pas de Calais) descendre le ravin de Souchez, occuper le bois des Ecouloirs pour prendre une redoute située à contre pente. Après une avancée difficile liée aux conditions climatiques (il a beaucoup plu). Le bois est occupé, la redoute évacuée par l'ennemi, des tranchées sont reprises sauf une située à la crête. Les hommes étaient épuisés sur un terrain extrêmement difficile. Cette action aura coûtée 70 tués, 264 blessés, 60 disparus.
"Cité à l'ordre de la Division, le 10 mars 1916, n° 98. Sous-officier énergique, a par son attitude, réussi avec ses hommes à contenir une violente attaque ennemie. Déjà cité au régiment."
Il fut également blessé au cours de ces combats par une balle qui le blessa au cou. Ce n' était pas passé loin.....
C'était la bataille du Bois aux Buttes près de Pontavert, et non loin de Craonne. L'artillerie ennemie pilonne, détruisant tranchées et boyaux. Les communications avec l'arrière sont coupées. Dans l'après-midi des obus lacrymogènes sont reçus rendant l'atmosphère irrespirable. Derrière l'artillerie reprend en soutien des grenadiers allemands suivis de mitrailleurs. L'ennemi s'empare du Bois aux buttes. Une division arrive en renfort, mais sous le feu des mitrailleuses la contre attaque échoue. Au bois "franco-allemand", deux compagnies résistent - dont la sienne - mais menacé d'encerclement, le commandant décide le repli en assurant la liaison avec la Sapinière. Dans la nuit et le lendemain deux tentatives de reconquête échouent sous le feu des mitrailleuses ennemies, l'artillerie française n'était pas assez présente pour les soutenir. Le régiment est porté en arrière pour se reformer : il a perdu : 35 tués, 134 blessés, 717 disparus. La confusion devait être grande.
Sa dernière blessure, la plus grave, qui lui laissera à vie des éclats d'obus dans l'abdomen fut reçue le 15 juillet 1917 à Bezonnaux, entre les forts de Douaumont et Vaux, sous Verdun.
Moins de détails sur cet épisode. Je sais qu'il a participé à une reprise du fort de Douaumont. Le Régiment a servi en cette année 1917 devant Vauqouis, Avaucourt, la côte 304, Louvemont, Douaumont, Hardaumont.
Mais sa vie ne se résume pas à sa carrière militaire, heureusement.
En voici les principales étapes:
Mon Grand-père est né à Mitry-Mory, Seine et Marne le 7 août 1885. Ses parents, originaires de la région de Charleroi en Belgique étaient venus s'installer à Mitry-Mory où ils exerçaient la profession de journalier. Il avait un frère et une sœur. Il a suivi sa scolarité à l'école publique de Mitry. A défaut de poursuivre ses études, car il fallait travailler tôt, il a toujours été curieux et s'il n'était pas diplômé, il n'en était pas moins instruit. C'est un pur produit de l'école républicaine. Donc très tôt - en 1897, à 12 ans, il travaille comme apprenti puis ouvrier charpentier à la sucrerie Piot, Mitry s’ouvrant à l'industrie en cette fin de XIX me siècle, début du XX me. Ensuite vint le temps de l'armée où il servit deux années. Après son service militaire, il retrouve son travail et en 1910 il devient cocher et valet de chambre chez les propriétaires de la sucrerie. Il a fait la connaissance de ma Grand-mère et ils se sont mariés le 30 octobre 1909. Il a alors 24 ans et ma Grand-mère qui est originaire du Morvan a un peu plus de 21 ans. Elle a été "placée" dans une maison "bourgeoise" (la même où il est employé) comme aide cuisinière et s'occupait également des enfants de la maison. En 1911, naît une fille Raymonde, qui figure sur une des photos. Puis c'est la mobilisation générale et mon Grand Père est rappelé. Il a alors 29 ans. Comme nous le verrons il a le grade de caporal. Pour la période couverte par son cahier, il est toujours caporal, et, par chance, il est passé au travers de nombreuses batailles meurtrières et ses états de service l'ont amenés à être promu à différentes reprises pour être en 1917, nommé adjudant. Pendant les combats il est distingué par la Croix de Guerre et en 1932 il obtient la médaille militaire.
Mais cette période ne va pas sans souffrance : des blessures à 3 reprises, par éclats d'obus, deux fois et une balle qui l'a blessée au cou. La dernière, grave sous Douaumont lui laissera à vie des éclats dans l'abdomen. Il a appris également, alors qu'il était sur le front, que sa Mère avait disparue au cours de l'exode, quand les habitants de Mitry ont fui devant l'avancée allemande. C'est probablement à cet événement qu'il fait référence quand dans son cahier il écrit "j'apprends une bien triste nouvelle". C'est au cours de sa convalescence que naîtra son fils Henri le 23/03/1918. Cette année 1918, sil elle lui apporte de grandes joies avec la naissance d'un fils et la fin de la guerre, voit cette famille brisée par la perte de la fille aînée, emportée en octobre 1918 par la grippe espagnole. De ce jour, ma Grand-mère se vêtit de noir et je l'ai toujours connue ainsi. Deux autres enfants naîtront, Andrée le 30 janvier 1921 et Denise, ma Mère, le 23 décembre 1922.
Et la vie reprend, habitant toujours Mory, hameau de Mitry-Mory, dans la maison où je les ai connus. Cette maison qui à cette époque n'avait ni eau ni bien sûr électricité et qui restera sans sanitaire intérieur jusqu'à ce qu'ils la quittent pour terminer leur retraite dans le quartier de Mitry le Neuf. Après sa démobilisation il retrouve du travail à la compagnie auxiliaire des moteurs de chemins de fer à Blanc Mesnil où il se rend en train. En 1929 et jusqu'en 1949 il travaille aux usines Ford de Poissy : toujours le train et le métropolitain. Entre temps il y a eu la seconde guerre mondiale. Après la période du début de guerre où il montait des gardes sur les ponts alentours, il y eut l'exode avec toute sa famille, puis le retour au village et la vie en ces temps d'occupation où l'objectif principal était de nourrir la famille. Comme avant et jusqu'à son décès, j'ai toujours vu mon Grand-père jardiner pour pourvoir aux besoins des siens et entretenir une basse cour.
En 1949, il revient travailler à la sucrerie Piot où il s'occupera entre autre du "silotage" (mesurer les silos de betteraves), et donc parcourir toutes les communes alentours (à pieds), et prendra sa retraite en 1957. à 72 ans. Il a eu le plaisir de voir naître 8 petits enfants et il avait un sens de la famille sans égal, recevant ses enfants à chaque grande fête où tous appréciaient les plats mijotés par la Grand-mère. Il eut un vélo, mais jamais de mobylette et encore moins de voiture.
Il est décédé le 22 octobre 1971, a 86 ans, après une période de fatigue de quelques semaines. Il était usé. Sentant sa fin proche, alité, il fit venir ses trois enfants et leur indiqua ses dernières volontés et surtout de prendre soin de la Grand Mère qui lui survécue jusqu'en 1982 où elle partit les rejoindre, lui et leur fille aînée, dans sa 95 me année. J'ai encore en mémoire que le jour de l'enterrement sa bêche était restée dans le jardin près du terrain qu'il avait commencé à retourner. Je regrette une chose, c'est de n'avoir pas discuté plus souvent avec lui de cette période de la Grande Guerre, car comme tous ces combattants, il en parlait peu, ne se glorifiait pas et enfouissait probablement au fond de lui ces images, ces cris, ces odeurs, ces douleurs, qu'il a supportés. Et il avait beaucoup à m'apprendre, à nous apprendre.
Entre ces deux photos, 45 ans, en 1969 nous avons fêté leurs noces de Diamant; (60 ans de mariage)
Il habitait la commune de Mitry-Mory et plus spécialement le hameau de Mory, ancienne commune rattachée à Mitry en 1839. Mitry-Mory était une commune à vocation agricole avec de grandes exploitations appartenant à des propriétaires terriens de la bourgeoisie. On y trouvait aussi une sucrerie (c'est là qu'il travaillait à la déclaration de la guerre), car en cette partie de la Brie, nous sommes au sein des terres productrices de betteraves, ainsi qu'une entreprise de charpentes et divers artisans : charpentiers, charrons, ébénistes, bourrelier. A cette époque pas d'électricité dans les maisons, peu avaient l'eau courante. Cette dernière était sur la place, à des puits et pompes communes. On faisait son jardin et on avait sa basse cour que le glanage, réglementé, permettait de nourrir. Les enfants étaient tous scolarisés.
Mitry est également à cette époque desservi par le chemin de fer depuis 1861, ce qui permet de rejoindre Paris mais aussi les industries de la banlieue nord-est. Malgré cela la commune reste rurale et le restera jusqu'à l'implantation de l'aéroport de Roissy qui a empiété sur ses terres et qui entraînera la création de zones industrielles. Mais c'est une autre histoire..... La gare de Mitry jouera un rôle important pendant la guerre, et a, à cette occasion, été agrandie pour recevoir les convois d'artillerie lourde. Il faut dire que cette voie ferrée desservait directement le front : Juilly, St Mard, Crépy, Laon.... Mitry a d'ailleurs été une base en arrière des lignes où venaient se reposer les régiments, mais on y soignait aussi les blessés et on y débarquait les corps de ceux qui n'avaient pas survécus au transport de rapatriement des blessés.